Dans le cadre de l'écriture d'un essai sur la littérature jeunesse, j'ai demandé à plusieurs personnes leur point de vue sur la question suivante.
Comment ressentez-vous la "différence" ou "frontière" entre la littérature dite "jeunesse" et celle dite "pour adultes" ?
Auteurs et éditeur ont accepté de répondre à cette question ! Je remercie énormément Cat Clarke, Cathy Ytak, Clémentine Beauvais, Florence Hinckel et Tibo Bérard. Voici donc leurs réponses, par ordre alphabétique de prénom car je ne souhaite pas les classer. (Retrouvez aussi en cliquant ici les résultats du sondage sur la littérature jeunesse et les blogueurs.)
Et vous, que pensez vous de cette "frontière" ?
La réponse de Cat Clarke, auteure de Revanche et A Kiss In The Dark (entre autres)
In English: For me the difference
between a book for children and young adults, and one for adults, is the point
of view. An adult book can have a child main character, but usually the action
is being narrated from a point in the future, when the child has grown up.
There is also usually a certain sense of 'knowing' to the point of view.
Another common difference is that children's and YA books have to move at a
faster pace. The reader has less patience for a slow build-up, or for pages and
pages of description. Of course, there are always exceptions, and rules are
made to be broken!
En Français : Pour moi, la différence
entre un roman jeunesse, young-adult ou bien un pour adultes, est le point de
vue. Un roman pour adultes peut avoir un enfant en personnage principal, mais
l'action est souvent narrée d'un point de vue futur, quand l'enfant a grandi.
Il y a aussi une certaine impression de "complicité" avec le
narrateur. Une autre différence est que les livres jeunesse et YA se doivent
d'avoir un rythme plus soutenu. Le lecteur a moins de patience pour une
intrigue lentement construite ou bien pour des pages et des pages de
descriptions. Bien évidemment il y a toujours des exceptions et les règles sont
faites pour être contournées !
La réponse de Cathy Ytak, auteure de Pas Couché et 50 minutes avec toi (entre autres)
Pour moi, il y a deux choses assez différentes.
La littérature vraiment "jeunesse" (qui
s'adresse à des enfants jusqu'à douze, treize ans environ), et la littérature
ados (qui est néanmoins toujours étiqueté "Jeunesse").
La frontière est très floue entre littérature pour
ados et littérature pour adultes, et ce sont les éditeurs qui la font.
Pour moi, cette frontière n'existe pas. J'écris
exactement de la même manière pour des ados et pour des adultes…
Alors, donc... la différence entre la littérature
jeunesse (moins de 13 ans environ) et la littérature adulte :
Il y a, je pense, de la part du grand public, une
vraie méconnaissance de cette littérature, et encore beaucoup de condescendance
(voire un peu de mépris !).
On entend parfois dire "c'est facile d'écrire
pour les enfants"… Or je pense que c'est le contraire. Cela demande
beaucoup de rigueur et d'attention. Et, non, ce n'est pas "facile".
Il y a dans la littérature jeunesse de vrais
trésors qui peuvent entraîner les adultes très loin...
La couverture médiatique de la littérature
jeunesse est aussi très réduite, par rapport à la littérature adulte. Pas de
magazines grand public sur la littérature jeunesse, par exemple. Quelques rares
émissions de radio, pas d'émissions de télévision…
La littérature jeunesse est le secteur littéraire
qui marche le mieux… et c'est celui dont on parle moins !
Le seul point positif de ce désintérêt de la
presse en général pour la littérature jeunesse, c'est qu'elle est, de fait, moins
soumise à des effets de mode.
La réponse de Clémentine Beauvais, auteure de Les Petites Reines (entre autres)
Personnellement, je trouve qu'il y a une frontière assez
intéressante, et qui n'a pas toujours existé, entre littérature 'pour enfants'
et pour adultes. Cette frontière, c'est celle d'un certain absolu ou d'un
certain sens de la nécessité ou de l'universel. En littérature adulte, on a
abandonné depuis la deuxième moitié du 20e siècle le sens de
l'absolu qui habitait le roman depuis sa création (au 17e siècle).
Le roman adulte contemporain est marqué par une sorte de relativisme, il y a
peu de discussions de valeurs, d'universels, de questions de vie et de mort. Il
y est beaucoup question de considérations personnelles et psychologiques
d'individus. Le roman jeunesse, au contraire, présente des situations
empreintes d'un vrai sens de l'absolu. Il est question souvent de conflits très
importants, d'amour fou, de mort et de force d'existence, de valeurs qui
existent au delà des individus. Je pense que c'est aussi ce qui explique qu'un
certain nombre de livres qui auraient autrefois été publiés en adulte (en
'normal', en fait), sont publiés en jeunesse. C'est quand ils transmettent
cette impression d'absolu, de 'grandes questions'.
La réponse de Florence
Hinckel, auteure de L'été où je suis né,
Quatre Filles et Quatre Garçons, #Bleue et U4 : Yannis (entre autres)
Vaste débat, chère Clèm ! Dans la littérature pour la jeunesse, il
faut distinguer les romans à destination des enfants et ceux à destination des
adolescents. Dans les premiers, il y a une attention particulière au langage
pour qu'il soit accessible à des premiers lecteurs (avec quand même quelques
mots à chercher dans le dico !), il faut aussi veiller à ne pas trop tordre la
linéarité de l'histoire, qui les perdrait. Pour les ados ou les jeunes adultes,
on est totalement libres dans ces domaines-là. Et du coup la frontière avec la
littérature dite générale est très floue, voire elle n'a aucune raison d'être,
la plupart du temps ! On peut juste relever cette constante : souvent les héros
sont des ados ou des jeunes adultes. Et les genres dits mineurs en littérature
générale sont très bien représentés en jeunesse et appréciés à la même hauteur
que les récits "plus nobles" proches de la littérature blanche : SF, fantastique,
policier. La liberté est beaucoup plus grande pour l'écrivain, et le choix plus
vaste pour le lecteur ! Sinon, un bon roman, qu'il soit publié en jeunesse ou
en litté générale (qui ne sont peut-être que des sectorisations marketing),
c'est un roman universel, qui peut plaire à tous les âges.
La réponse de Tibo Bérard, éditeur chez Sarbacane,
directeur des collections Pépix et Exprim (retranscription d'un appel
téléphonique)
Il y a deux réponses différentes en fonction des collections dont je
m'occupe.
Il y a la collection Pépix, pour des romans d'enfance, qui a un
lectorat clairement ciblé : les 8-12 ans. C'est vraiment autre chose que la
littérature adulte. Celle-ci est pensée pour les enfants et on se concentre sur
les deux dynamiques de la collection : l'humour et l'aventure. On propose donc
des romans pensés pour cet âge là. C'est un petit peu sur des critères de
difficulté, d'accessibilité de lecture. Si on s'adresse aux enfants, on fait
attention de proposer des structures syntaxiques riches mais accessibles à
tous. Nous sommes là pour accompagner un enfant qui commence à lire tout seul,
à 7-8 ans, et qui devient vraiment autonome à 9-10 ans. J'aime bien l'idée de ne
pas les prendre pour des idiots. Il y a plein de choses différentes : des
propositions subordonnées, des inversions de sujet, des phrases nominales...
Dans ces propositions de romans d'enfance, est-ce qu'on s'interdit des sujets,
ce n'est pas vraiment le mot. C'est plutôt qu'il y a des sujets qui ne
concernent pas encore les enfants, ou du moins des façons de les traiter qui ne
les concernent pas encore. Par exemple, on va faire un Pépix prochainement, qui
parle de la situation des migrants. On peut donc leur parler de tout, mais
faire le récit d'un corps déchiqueté ça n'a pas beaucoup d'intérêt pour un
enfant. Donc pour toute cette sphère là, lorsqu'on est dans le roman d'enfance,
il y a des différences avec la littérature adulte assez marquées. On se concentre
sur le plaisir de la narration, on fait quand même un travail d'accessibilité
au texte, question qui ne se pose pas trop en littérature générale. Encore que,
quand on voit certains gros succès de librairie... D'ailleurs, Marc Levy le
dit, il travaille à clarifier ses phrases le plus possible. En revanche même
dans le cadre d'une littérature jeunesse pensée comme ça, je ne vois pas
pourquoi elle serait hiérarchisée. Je ne vois pas pourquoi elle serait en
dessous de la littérature générale. Ces romans là d'enfance sont plus joyeux,
plus faciles d'accès, souvent plus courts, mais ça ne veut pas dire qu'ils sont
moins bons. C'est aussi le fruit d'un travail littéraire.
En revanche quand on parle de roman ado-adulte, c'est une toute autre question. Très clairement, pour moi il n'y a pas de différence de niveau de lecture ou encore d'ambition littéraire. Je trouve que les romans que je publie dans ma collection rivalisent sans aucun problème avec les romans qui peuvent paraître lors de la rentrée littéraire française. La différence si elle se fait, n'est donc pas là. En fait, elle ne se fait pas sur le public. Personnellement, je ne parle pas de romans ados ni de romans jeunes adultes, je parle de romans ados-adultes. Il s'agit de romans qui touchent autant les adultes que les ados. Ce qu'il y a c'est une attention portée à l'énergie de l'adolescence. La différence pour moi est une question d'énergie, de rythme narratif. Il y a souvent des romans qui sont plus tournés vers la narration "à l'Américaine", c'est à dire qu'on fait passer la narration en premier lieu et on en dégage un propos problématique ou des thématiques en deuxième lieu. Au contraire, la littérature classique française a plutôt tendance à faire l'inverse, à être une littérature cérébrale qui part d'un thème en mettant en jeu, pour l'exploration de ce thème, un style. Et la narration vient en troisième plan. Par exemple "Réparer les vivants" (Maylis de Kerangal) est typique : thématique centrale, un style déployé autour de cette thématique et ensuite en dernier plan une intrigue qui ne tient pas sur grand chose. Côté ado-adulte, on va plus privilégier des récits forts, des personnages, des scènes dialoguées, un sens de la narration, un enjeu narratif. À mon sens le style vient en deuxième lieu et le sujet en dernier. Ça se joue surtout là, c'est-à-dire quelque chose d'assez décomplexé par rapport au propos. Je pense que c'est une littérature qui se veut moins cérébrale, plus créative et récréative. Mais qui pourrait très très bien atterrir sur les tables de littérature générale. Il n'y a aucun inconvénient à ce que ça se fasse, si ce n'est que je trouve que c'est bien de marquer l'attention portée aux jeunes. De toute façon, c'est une approche qui est aussi commerciale. « Soit on entre dans les livres par la littérature générale, soit on rentre par l'ado-adulte parce qu'on estime que c'est plus fun, pour le dire simplement. C'est souvent plus joyeux, plus festif et je trouve que c'est un genre qui s'offre plus de libertés dans la narration.
En revanche quand on parle de roman ado-adulte, c'est une toute autre question. Très clairement, pour moi il n'y a pas de différence de niveau de lecture ou encore d'ambition littéraire. Je trouve que les romans que je publie dans ma collection rivalisent sans aucun problème avec les romans qui peuvent paraître lors de la rentrée littéraire française. La différence si elle se fait, n'est donc pas là. En fait, elle ne se fait pas sur le public. Personnellement, je ne parle pas de romans ados ni de romans jeunes adultes, je parle de romans ados-adultes. Il s'agit de romans qui touchent autant les adultes que les ados. Ce qu'il y a c'est une attention portée à l'énergie de l'adolescence. La différence pour moi est une question d'énergie, de rythme narratif. Il y a souvent des romans qui sont plus tournés vers la narration "à l'Américaine", c'est à dire qu'on fait passer la narration en premier lieu et on en dégage un propos problématique ou des thématiques en deuxième lieu. Au contraire, la littérature classique française a plutôt tendance à faire l'inverse, à être une littérature cérébrale qui part d'un thème en mettant en jeu, pour l'exploration de ce thème, un style. Et la narration vient en troisième plan. Par exemple "Réparer les vivants" (Maylis de Kerangal) est typique : thématique centrale, un style déployé autour de cette thématique et ensuite en dernier plan une intrigue qui ne tient pas sur grand chose. Côté ado-adulte, on va plus privilégier des récits forts, des personnages, des scènes dialoguées, un sens de la narration, un enjeu narratif. À mon sens le style vient en deuxième lieu et le sujet en dernier. Ça se joue surtout là, c'est-à-dire quelque chose d'assez décomplexé par rapport au propos. Je pense que c'est une littérature qui se veut moins cérébrale, plus créative et récréative. Mais qui pourrait très très bien atterrir sur les tables de littérature générale. Il n'y a aucun inconvénient à ce que ça se fasse, si ce n'est que je trouve que c'est bien de marquer l'attention portée aux jeunes. De toute façon, c'est une approche qui est aussi commerciale. « Soit on entre dans les livres par la littérature générale, soit on rentre par l'ado-adulte parce qu'on estime que c'est plus fun, pour le dire simplement. C'est souvent plus joyeux, plus festif et je trouve que c'est un genre qui s'offre plus de libertés dans la narration.