Les Mondes de Clèm: Bal Masqué - Amélie

mercredi 7 mai 2014

Bal Masqué - Amélie


Amélie a gagné le prix coup de coeur du jury  au concours d'écriture organisé pour les deux ans du blog. Un texte magnifique sur Le Cirque des Rêves d'Erin Morgenstern, qui incite au rêve...

BAL MASQUÉ
            Une lourde porte noire t’invite à pénétrer dans le chapiteau. Elle découvre en grinçant un long couloir bordé de chandelles et de portes closes. Le silence est total. Tu entends tes pas qui résonnent sur le marbre blanc et noir.
            Des boîtes en bois poli peintes à la main son accoudées aux chandelles. A l'intérieur, des masques s'empilent, en harmonie.
            Tu admires les loups noirs comme la nuit. Chacun est unique. Une paillette, une forme, une plume discrète, marque leur différence. Ils semblent attendre, chenilles endormies, leurs propriétaires qui feront d'eux les éphémères nocturnes se brûlant les ailes pour toucher les étoiles.
            Plus loin, tu effleures le patchwork merveilleux de masques en tissu. Tu t'émerveilles devant ce travail parfait, sans aucun point apparent, et cet agencement de couleurs et de matières qui semblent avoir été liées par les fils du destin.
            Pourtant, c'est au bout de l'allée que tu trouves ton bonheur. La dernière boîte n'a pas de chandelles pour l'éclairer. La lumière vient de l'intérieur. Les loups sont habillés de feux follets dansant devant tes yeux, échappant à ton regard. Tu ne perçois qu'un mouvement, une courbe tantôt bleu crépusculaire, tantôt écarlate comme un soleil couchant. Ils reflètent toutes les nuances que portent les longues nuits au sein du Cirque des Rêves. Tu portes délicatement un masque à ton visage, et il épouse ta peau à la manière un baiser.
            Une porte miroite à ta gauche. Tu n'hésites pas, et entres dans une salle de bal.

            Elle te domine de sa hauteur, avec pour tout plafond l'infini de la voûte étoilée. Tu contemples ce paysage qui t'emporte, une fois de plus, dans la magie et l’abîme de son immensité.
            Une invitée vêtue d’une délicate robe à crinoline pêche te bouscule en riant, et tu redescends sur le sol dur de la Terre.
            Un ballet de couleurs éclatantes, de tissus ondoyants et de murmures amusés semble t’inviter dans sa danse. Il n’y a pas de recoins pour s’éclipser du bal. D’un pas tu t’insères dans le cercle magique de cette confrérie de masques.
            Un jeune garçon de quinze ou seize ans apparaît comme par enchantement à tes côtés. Ses yeux pétillent de malice, et ses fines mains mouvantes te fascinent, semblant être douées de parole, reflétant bien plus que les mots le caractère passionné de leur propriétaire. Son costume noir ouvragé t’intimide, mais son ton chaleureux t’arrache un premier sourire. Il est rejoint par une jeune fille au même regard animé mais au costume blanc comme le feu de joie brûlant au coeur du Cirque. Ils semblent se fondre l’un dans l’autre, volutes de fumée blanche se lovant autour des volutes de fer forgé noir.
            La jeune fille te complimente sur ta robe. Tu baisses les yeux, stupéfaite, et prends conscience de la robe chatoyante qui t'habille désormais. Une composition de dentelles blanches et noires s’enroule autour de ton corset et tes jupons de coton telle une guirlande
de Noël. En guise de branches lourdes d'aiguilles de pins, de légers feux follets se poursuivent en crépitant sur le tissu resté vierge. Ta robe semble vivante, elle suit chacun de tes mouvements. Tu inclines la tête, et un feu follet blanc relève ton col pour te dessiner un port de reine.
            Tu éclates d'un rire cristallin. Toutes les conversations s'arrêtent. Tu rougis de cette extravagance, mais les invités te rassurent d’un hochement de tête bienveillant. Un par un, ils s'approchent et viennent échanger quelques mots.
            Derrière les masques aux couleurs changeantes, tu crois percevoir des regards qui te sont familiers. Celui d’une contorsionniste aux tatouages intrigants, que tu as rencontrée lors de ta première visite. Celui d’une voyante cachant sa tristesse derrière son voile de crêpe noire. Celui lumineux, douloureux, entier, d’un couple d’amants éternels. Leurs mains s’effleurent à peine, mais les chandelles semblent alors briller d’un feu plus ardent.
            Ils devraient être chacun dans leurs chapiteaux, exécutant leurs tours, leur magie pour le bonheur des spectateurs éblouis. Mais l’invraisemblance est reine au Cirque des Rêves.
            Tu discutes avec eux des heures durant, tu écoutes et te fais écouter petit à petit. Tu confies tes rêves, tu t'inspires des leurs. A mesure que les étoiles poursuivent leur lente course dans le ciel, tu parcours, dans ces conversations, chaque allée, chaque attraction et chaque coeur du Cirques des Rêves.
            Lorsque plus aucune question n'occupe ton esprit, lorsque celui-ci est repu des paroles des artistes et de leurs sourires, tu embrasses la salle d’un dernier regard, lèves les yeux vers la nuit qui s'éclaire peu à peu, et te retrouves alors dans le long couloir. Plus de boîtes ni de masques. La porte ne scintille plus.
            Tu croises, en sortant, un petit garçon qui pleure doucement. Tu le prends dans tes bras pour le consoler, mais il n’en a pas besoin.
            « J’ai pu dire au-revoir à ma maman et mon chien Max », m’explique-t-il, triste mais reconnaissant pour ce moment partagé qui ne devait pas exister.
            Main dans la main, vous sortez ensemble, bercés par la mélancolie du souvenir de ces rencontres uniques et précieuses. Tu achètes au garçon un chocolat chaud à la cannelle puis le laisses retrouver son père.

            En cherchant ton carnet dans la doublure de ta veste, tu sens soudain la caresse du masque. Les feux-follets se sont presque tous envolés, le masque a retrouvé une blancheur immaculée, mais tu perçois, comme un clin d'oeil, le reflet d'un oublié.
            Le vent enroule autour de ton cou une écharpe rouge, comme celles que tu admires tant dans les allées du Cirque. De fils blancs et noirs sont brodées tes initiales.
            Tu ne cherches pas à retrouver le généreux donateur. Tu lèves les yeux vers le ciel et rit, envoyant ainsi un message d’ondes joyeuses pour remercier le Cirque de t’accueillir au sein de sa famille.
            Et le feu-follet te chuchote à l’oreille :
            « Bienvenue, Rêveuse. »



4 commentaires:

  1. Juste incroyablement magnifique, vraiment, vraiment, vraiment.

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  2. Je n'ai pas lu le livre, mais ton texte m'a envoûtée, enivrée...

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  3. (Parce que pour que je garde le compte de mes commentaires, il faudrait que je réponde à chaque mais je ne vais pas le faire ici, puisque ces commentaires ne sont pas pour moi…)

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