Les Mondes de Clèm: Courageusement lâche - Mérande

mercredi 7 mai 2014

Courageusement lâche - Mérande


Mérande a gagné le prix spécial du jury au concours d'écriture organisé pour les deux ans du blog. Une grande qualité d'écriture qui mérite d'être récompensée, sur un texte de Divergent de Veronica Roth. (Attention : Contient des spoilers sur le premier tome)


Courageusement lâche

Un jeune homme se tenait là, au bord du gouffre, les yeux plongés dans l'eau tumultueuse. L'animal sauvage qu'est l'écume arrivait à gravir les parois pour lui chatouiller les orteils par quelques gouttes. Une seule question tournait en boucle. Sauter, ou reculer encore une fois avec la certitude de se retrouver sans-faction ? Un frisson de dégoût lui parcourut l'échine en s'imaginant subir les longs hivers qu'offraient Chicago, de s'endormir le ventre creux et surtout, d'être seul. La solitude était la chose qui terrifiait le plus Albert, bien plus encore que les ténèbres. Il s'accroupit, et sa respiration se fit erratique. Il n'avait pas voulu tout ça. Drew et Peter l'avaient coincé dans un couloir après une journée d'entraînement et Al, fatigué et courbaturé, n'avait pas fait assez attention à ses arrières. Il s'était fait violemment plaqué contre le mur de pierre et ils ne lui avaient posé qu'une question : "Tu veux vivre ?", la réponse étant évidente, les deux novices lui avait imposé leur plan. "On balance la pète-sec dans le trou, on monte dans le classement et on reste, c'est assez clair ?" Cependant, ils avaient échoué à leur mission et il n'existait plus pour Tris. Il n'avait jamais vu autant de colère dans les yeux d'une personne et ses yeux, ses magnifiques yeux marron avaient été brillants de haine et de larmes. Un sanglot déchirant s'échappa de sa gorge sèche, et il fondit en larmes. Albert n'avait jamais été courageux. Il était Sincère et son test d'aptitude lui avait chuchoté la même chose. C'est sous un soudain coup de tête qu'il avait levé sa main au dessus des cendres ardentes et que plusieurs gouttes écarlates les avaient fait grésiller. C'est sa stupide fierté qui l'avait obligé à faire ce geste, pour qu'il prouve au monde qu'il pouvait être courageux, une fois dans sa vie. Car Albert ne sera jamais Audacieux et il le sait. Il ne pourra jamais prendre plaisir à sauter d'un train en marche, avec le risque de chuter et de se rompre tous les os dans l'impact avec le macadam sale. Il voyait bien que ses compères y prenaient plaisir, à effectuer ces courts sauts qui leur donnaient l'impression de voler, d'exister. Ils étaient ivres d'adrénaline, comme si ils avaient étanché leur soif en buvant des litres et des litres de courage accompagné d'un brin de folie. Al aimait beaucoup les observer accomplir leurs bonds, voir leurs corps souples et musclés en l'air puis atterrir gracieusement dans un bruit de gravillons qui s'entrechoquent sur le toit du bâtiment audacieux. Il avait toujours pris l'habitude de descendre du train en dernier, peut-être car il savait que si il décidait de rester dans la rame, les autres pourraient peut-être penser qu'il n'avait pas eu le temps pour se jeter dans le vide. Mais évidemment, Albert était trop lâche pour le faire.


Ses sanglots se transformaient lentement en longs gémissements désespérés et il glissa ses doigts dans ses cheveux emmêlés. Il commença à se balancer d'avant en arrière, comme il le faisait enfant pour échapper à une crise de panique. Les gouttes salées glissaient sur ses joues, dévalaient son menton et s'échouèrent sur son pantalon, si bien qu'il se retrouva rapidement constellées de ronds humides. Des tiraillements douloureux tordirent son estomac et un goût âcre régnait dans sa bouche. Albert remonta sa manche et observa l'araignée tatouée sur son avant-bras. Il avait choisi de se faire marquer un arachnide car il admirait sa manière de piéger le moindre petit être vivant dans sa délicate toile. Un sourire sans joie étira ses lèvres. Il se releva brusquement et ses articulations endolories émirent plusieurs craquements. Il prit une grande inspiration et essuya quelques larmes qui continuaient leur chemin sur son visage ravagé par la souffrance. Il recula de quelques pas, courut et se laissa tomber dans l'abysse aux eaux tumultueuses. Pour la première et dernière fois de sa vie, Al avait été Audacieux.

2 commentaires:

  1. J'aime beaucoup la possibilité de voir "l'autre côté" de la mort d'Al ! :)

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