Clémentine Beauvais au festival du livre jeunesse de Cherbourg 2016 |
Clémentine Beauvais a écrit de nombreux romans jeunesse, dont Les petites reines et Songe à la douceur, que j'avais particulièrement adoré (collection Exprim', éditions Sarbacane). Tout récemment, elle vient de traduire Inséparables, de Sarah Crossan, qui est paru aux éditions Rageot. C'est un roman en vers magnifique, qui m'a réellement touchée. Pour en savoir plus, rendez-vous ici. Clémentine Beauvais a accepté de répondre à mes questions, à propos du roman et de la traduction en général...
Comment
t'es-tu retrouvée traductrice d'Inséparables
? Est-ce que tu as demandé à le faire ou bien est-ce l'éditeur qui t'a
contactée ?
Bonne question ! Un peu des deux. C’est une
histoire assez marrante. En fait, Murielle Coueslan de chez Rageot m’a
contactée en disant « Clémentine, tu connais Sarah Crossan ? Elle écrit
des romans en vers, on hésite à en acheter… » Evidemment, je connaissais
très bien Sarah dont j’étais assez fan, et donc j’ai répondu en disant
« Achetez-les !!! Et est-ce que je peux faire un essai de
traduction… ? » et c’est comme ça que ça s’est fait.
Est-ce
ta première traduction ?
En fait non, car j’avais déjà traduit mon propre
roman Les petites reines en anglais (Piglettes, chez Pushkin, juillet 2017).
J’avais aussi fait de petits boulots de traduction dite ‘pragmatique’ ( =
traduire des sites web, etc.) et puis quand j’étais ado, j’ai été pendant
plusieurs années traductrice anglaise-française du site de fans d’Harry Potter
Mugglenet.com…
Comment
as-tu découvert le roman et qu'est-ce que tu as aimé dedans ?
J’ai découvert le roman à sa sortie en
Grande-Bretagne, mais je connaissais déjà Sarah avec ses deux romans
précédents, The Weight of Water et Apple and Rain, que j’avais adorés.
J’avais aussi lu ses romans dystopiques. Ce que j’adore dans l’écriture de
Sarah c’est que c’est extrêmement simple, limpide, tendre, mais profond. Elle
est toujours dans la retenue et le non-dit. C’est une écriture très élégante.
L'as-tu
lu plusieurs fois avant de commencer la traduction ?
Deux fois seulement : une fois à sa sortie,
sans savoir donc que j’allais le traduire, et une deuxième fois quand Rageot
m’a officiellement proposé de le faire. La traduction a été ma ‘troisième’
lecture.
Généralement,
les traducteurs ne sont que très peu connus, parce qu'ils n'ont pas
"écrit" le roman. Certes, ils n'ont pas écrit l'histoire en elle-même,
mais je pense que le style d'écriture du traducteur joue un rôle indéniable
dans le livre final. Ce sont eux qui ont la lourde tâche de choisir les bons
mots, les bonnes expressions... Ce qui est aussi ce qu'un auteur fait. Qu'en
penses-tu ?
C’est d’autant plus le cas en jeunesse. Mais la
situation évolue, je crois qu’on s’avance vers une plus grande reconnaissance
de la traduction pour enfants et adolescents comme travail véritablement
littéraire, et pas seulement comme une simple opération de transfert. En
théorie de la traduction, il y a beaucoup d’appels à laisser tomber
l’expression ‘texte original’, qui signifierait qu’il y aurait un ‘vrai’ texte
et puis ses ‘dérivés’, les traductions. Il faut envisager la traduction comme
un acte de création littéraire à part entière. Il est très clair que, même pour
des langues proches, l’on ne pourra jamais que ‘dire presque la même chose’,
d’après l’expression célèbre qui a donné son titre à un livre d’Umberto Eco sur
la traduction.
Il faut aussi remettre en question la tentation de
penser que toute personne qui parle à peu près deux langues est d’emblée capable
d’être traducteur. Il est évident qu’il faut aussi des capacités d’écriture
mais aussi, je pense, des capacités de réflexion métalinguistiques,
c’est-à-dire une réflexion sur le langage et les langues. Il faut être assez
passionné par ce qui constitue l’écart et les zones de tensions entre deux
langues. Il faut enfin une connaissance assez solide des contextes culturels et
historiques.
Il faut aussi en parler aux enfants, expliquer ce
que cela veut dire de traduire. Je pense que l’une des premières fois où ma
conscience a été éveillée quant à la traduction a été quand je me suis aperçue
des ‘modifications’ apportées par Jean-François Ménard au texte de J.K.
Rowling. J’étais ultra choquée qu’il ait ‘transformé’ Hogwarts en Poudlard,
Snape en Rogue, etc. J’ai partagé ma colère avec ma mère, et elle m’a expliqué
pourquoi il ne s’agissait pas d’un mensonge ou d’une trahison, mais d’un
travail de traduction extrêmement intelligent. J’ai eu de la chance, je pense,
que ma mère en ait été consciente et ait trouvé les mots pour me le dire. Ce
n’est pas du tout spontané pour un enfant ou un ado de comprendre les enjeux
littéraires de la traduction. Je pense que quand on est petit/e, on est très
attaché aux questions de propriété intellectuelle, de ce qui est ‘vrai’ ou de
ce qui est une ‘copie’, et on n’a pas forcément les outils pour comprendre
qu’il est problématique de penser la traduction avec ces dichotomies-là. Il
faut de la pédagogie.
D'abord Songe à la douceur, puis cette
traduction d'Inséparables. Pourquoi
cette amour pour les romans écrits en vers libres ?
Je n’ai vraiment pas un amour particulier pour les
romans en vers libres. C’est un genre que j’ai découvert il y a quelques années
et dont certains aspects me plaisent ou m’intriguent, mais ce n’est pas mon
genre ‘fétiche’ et il y a beaucoup d’autres formes littéraires que j’aime
aussi. Mais cette traduction-là, comme je l’ai expliqué plus haut, ‘faisait
sens’ (anglicisme !!!) dans un contexte particulier.
Est-ce
que tu comptes écrire de nouveaux romans en vers libres ? Dis oui dis oui dis oui dis oui dis oui dis oui
dis oui dis oui dis oui dis oui dis oui dis oui dis oui dis oui :D
…non… sorry… ! J
Il est vrai que certain/es auteur/es se
‘spécialisent’ en romans en vers, mais pour moi l’écriture en vers de Songe à la douceur était vraiment liée à
sa nature, à son essence. C’était un roman inspiré d’un autre roman en vers et
d’un opéra. La versification était dans son ADN, pour ainsi dire. Je ne me vois
pas écrire d’autres romans en vers sauf s’il me vient une idée qui exige cette
forme-là.
Merci à Clémentine Beauvais d'avoir accepté cet interview et merci pour ces très chouettes réponses ! Si vous n'avez pas encore lu de ses romans ou Inséparables, lisez-les sans plus tarder. Vous ne pourrez pas le regretter !
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